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© Vincent Ballard
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C’est donc sous le titre “Tunnels” que Vincent Ballard a choisi d’investir cet espace. La sélection d’images que nous découvrons parait d’emblée se dérober à toute assignation iconique, la question de la représentation – si tant est qu’elle soit posée ici – est toute autre. Chaque image participe d’un geste plus vaste qu’elle, et davantage : l’élan qui les traverse et les maintient dans cette tension, enfouie et pourtant vive, propage de l’une à l’autre et au gré des écarts, son propos comme un silence.
Si je continue plus avant dans le sens de Charles S. Peirce, il s’agit d’appréhender ces images comme des indices. Cependant il s’agit d’un genre d’indices particulier – disons des traces – puisque effectivement, ces photographies indiquent, mettent sur la voie, mais dans le sens de tout autre chose que la forme qu’on croit reconnaitre. Chaque fois, c’est la vision elle-même qui prend forme, l’objet est une occasion. C’est peut-être l’aspect sous lequel on peut envisager ces images comme des tunnels, des voies de communication tracées dans le relief du visible, passages secrets dont l’excitation émane plutôt du déplacement inédit que de l’issue attendue.
Indices et traces, ces images sont donc premières : elles arrivent et se donnent avant l’objet qu’elles semblent représenter, celui-ci est d’ailleurs parfois voué à l’oubli. Elles ne sont les émissaires que du chemin qu’elle parcourt, elles transcendent leur valeur de document, le rapport d’affectation à l’objet ; la surface photographique est bien plus profonde qu’une ombre. L’objet qui a laissé sa trace est passé derrière l’horizon, n’est plus que l’idée de forme ; la trace se charge de faire image, d’emplir le visible. L’idée de forme, c’est ce vers quoi l’image tend, ou d’où elle s’écarte. Dans les photographies de Vincent Ballard, ce que la trace trace, c’est l’espace que conçoit l’écart d’avec ce dont elle est la trace – et dont la présence ne coïncide plus –, mais c’est aussi l’itinéraire que l’image sillonne dans le visible.
L’oscillation entre deux aspects de cette exposition – l’incorporation de l’un dans l’autre – articulent donc quelque chose comme ce qui commence en continu dans la photographie : un élément plastique, l’autre graphique. Les images agencent des écarts qui déploient un espace, posent plastiquement la question du champ visuel, de la surface photographique non comme un simple dialogue formel, mais comme un mouvement de distanciation, d’évaluation de ce que représente dans l’espace visible la singularité de chaque image. Mais, une ligne lumineuse, dont on ne peut ignorer l’intervention – et dont on se demande à juste titre à quel moment elle apparait dans le processus –, fait irruption, comme une image de plus, au centre de toutes les autres, mettant en évidence l’hétérogénéité de l’espace visible, de la surface photographique et la façon dont chaque image agit sur ces dimensions. Cette image au travers des autres, ou à l’occasion de celles-ci, est aussi un indice, plus proche de l’écriture cette fois, pas plus en mesure de coïncider avec la présence, de dire la présence. L’aspect graphique de cette image entame l’espace étendu par l’aspect plastique des autres, semble incruster dans la surface photographique le déplacement même d’un regard, raconter l’atmosphère visuelle comme le vol d’une mouche écrit l’espace d’une chambre.
Si l’objet photographié se trouve sur le revers de la surface photographique, le regard raye son endroit. Mais déployer la surface photographique, c’est faire droit à cette troisième dimension de l’image, c’est se placer sur le seuil indéterminé du visible et du voyant. Les photographies de Vincent Ballard nous permettent de découvrir notre puissance de voir, de faire de notre vision elle-même l’objet de la photographie, de nous constituer comme le sujet de toute image en faisant vibrer notre regard, comme un frisson, à fleur du monde.
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Mathilda Gustau, texte publié à l’occasion de l’exposition Tunnels, 2017
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